Texte et vision:
César avait alors quarante ans. Les travaux auxquels il se livrait dans sa fabrique lui avaient donné quelques rides prématurées, et avaient légèrement argenté la longue chevelure touffue que la pression de son chapeau lustrait circulairement. Son front, où, par la manière dont ils étaient plantés, ses cheveux dessinaient cinq pointes, annonçait la simplicité de sa vie. Ses gros sourcils n'effrayaient point, car ses yeux s'harmonisaient par leur limpide regard toujours franc à son front d'honnête homme. Son nez casé à la naissance et gros du bout lui donnait l'air étonné des gobe-mouches de Paris. Ses lèvres étaient très lippues, et son grand menton tombait droit. Sa figure, fortement colorée, à contours carrés, offrait, par la disposition des rides, par l'ensemble de la physionomie, le caractère ingénument rusé du paysan. La force générale du corps, la grosseur des membres, la carrure du dos, la largeur des pieds, tout dénotait d'ailleurs le villageois transplanté dans Paris. Ses mains larges et poilues, les grasses phalanges de ses doigts ridés, ses grands ongles carrés eussent attesté son origin, s'il n'en était pas resté des vestiges dans toute sa personne. Il avait sur les lèvres le sourire de bienveillance que prennent les marchands quand vous entrez chez eux; mais ce sourire commercial était l'image de son contentement intérieur et peignait l'état de son âme douce.
Honoré de Balzac, César Birotteau
Le portrait de César Birotteau : un exemple de littérature réaliste
Ce texte descriptif de Balzac s'inscrit dans le cadre du courant réaliste littéraire. Il présente un personnage type de la société parisienne du 19e siècle, originaire du monde villageois ou paysan : César Birotteau. L'auteur le présente comme un commerçant étranger transplanté dans Paris.
La description physique et morale
La description de César Birotteau s'organise selon deux modes qui vont de pair : physique et moral. En effet, le niveau physique joue la fonction d'un miroir pour le côté moral du personnage. On ne devine la personnalité de César qu'à travers les traits de son visage ou de son corps (nez cassé et pieds larges...). Ce portrait, qui va du haut en bas, met l'accent sur le visage, lieu des sentiments humains de ce commerçant (franc, honnête, stupide, dans une autre interprétation subjective et indirecte).
Un portrait réaliste
Le portrait présente à la fois une description valorisante (franc) et dévalorisante (gobe-mouche), ce qui donne un grand effet réaliste au tableau. La description joue aussi le rôle de classer socialement César : c'est un commerçant d'origine villageoise. De plus, cette classification sociale est renforcée par des traits de description physiques et moraux (bienveillant, souriant, main large...).
L'art de la description chez Balzac
En vérité, Honoré de Balzac se considère parmi les grands auteurs qui ont excellé dans l'art de la description du paysan. Pour l'écrivain, le portrait est un outil de classification sociale. De là, on peut conclure que ce texte est emblématique de la littérature réaliste française du siècle 19e.